Ayatolland d'Iran: Comment Ahmadinejad a truqué les élections?
Le nombre total de votes a été supérieur à celui des votants et de nombreux bulletins au nom du chef de l'opposition Mousavi ont été retrouvés dans des forêts.
Rarement un pays n'a eu un choix aussi clair à faire que l'Iran, le 12 juin. Ce jour-là, 40 millions de gens votaient pour élire leur président. Le sortant, Mahmoud Ahmadinejad, promettait de continuer sa politique économique et son approche anti-occidentale, faite de négationnisme et de confrontation nucléaire. Son opposant principal, Mir Hossein Mousavi, s'engageait pour une réforme économique, plus d'ouverture vers l'Ouest, des droits de l'Homme et des négociations nucléaires.
Alors que certains bureaux de vote étaient encore ouverts, le Ministre de l'Intérieur déclara Ahmadinejad gagnant, et ce par une victoire écrasante. L'opposition prétexta le contraire et, malgré des arrestations et des passages à tabac, les manifestations ont continué. Pour les supporters d'Ahmadinejad comme ceux de Mousavi, chacun de leur candidat était vainqueur.
Mais pour tous les autres, il était clair qu'il s'était passé de sérieuses irrégularités. Alors qu'Ahmadinejad semble prendre de sévères mesures afin que sa légitimité ne soit plus jamais remise en question, des membres du clergé, même conservateurs, demandent à l'Etat de rendre des comptes. Voici ce que nous savons aujourd'hui sur ce qui s'est passé et ce qu'il faut pour éviter la fraude lors de la prochaine élection.
Les Iraniens ont de bonnes raison de ne plus croire le résultat de leurs élections. Le Ministère de l'Intérieur, contrôlé par le président, dirige les élections en Iran. Il empêche les observateurs de l'opposition d'examiner ce qui se passe dans les bureaux de vote de la capitale, Téhéran; et leur accès se voit encore plus limité dans le reste du pays. Aucun de ces observateurs n'a pu voir si les urnes étaient vides au début du vote. Et ils ont encore moins eu la permission de suivre le trajet des urnes mobiles, qui ont collecté pas moins du tiers des votes. Et ni Mousavi, ni des observateurs extérieurs n'ont pu accompagner ces urnes dans leur transport des circonscriptions locales vers les comités provinciaux puis enfin à Téhéran, où elles ont été dépouillées et comptabilisées.
Avant l'élection, le réformiste Comité pour la sauvegarde des votes s'est dit soucieux de voir 54 millions de bulletins imprimés (à remplir par l'électeur) - des millions supplémentaires par rapport aux élections passées, et 8 millions de plus que le nombre total d'électeurs. En outre, certains bulletins étaient dénués de numéro de série. Environ 40 millions de personnes se rendirent aux urnes, mais personne ne justifia l'existence de ces 14 millions de bulletins en trop.
Le Comité pour la sauvegarde des votes a aussi déclaré avoir trouvé de très nombreux bulletins en faveur de Mousavi après l'élection, en particulier dans les forêts du nord de l'Iran. Il soupçonne le fait que ces bulletins avaient retirés des urnes et remplacés par d'autres, en faveur d'Ahmadinejad. Mousavi en personne a déclaré avoir la preuve que le nombre total de votes dépassaient le nombre de votants par plus de 40%, et ce dans plus de 170 circonscriptions. Certains observateurs du parti ont affirmé que les bulletins pour Ahmadinejad avaient été écrits par la même personne, et ce avec la même encre.
Ces accusations de fraude sont crédibles. Même le conservateur Conseil des Gardiens a reconnu que près de 3 millions de votes pouvaient être considérés comme frauduleux. Mais compte-tenu du fonctionnement du système, personne ne sait quels votes étaient légitimes, et quelle était la récurrence de la fraude.
Dans de nombreux autres pays où les élections sont truquées, les membres de l'opposition boycottent les scrutins. Cela n'a pas été le cas en Iran - et aujourd'hui, des millions de personnes risquent leur vie pour que leurs votes soient bien pris en compte. Alors que les manifestations entrent dans une nouvelle phase, le pays pourrait endiguer une crise en embrassant quatre principes fondamentaux de garantie électorale.
La première et plus importante étape est le transfert des responsabilités de l'élection des mains du Ministère de l'Intérieur et du Conseil des Gardiens à une commission électorale nationale indépendante et non-partisane. L'Iran devrait aussi créer une Cour électorale non-partisane, composée de juges et d'avocats. Tous les partis majeurs devraient avoir un droit de veto sur la nomination de ses membres afin de s'assurer que tous les juges sont acceptables pour tous les partis.
Deuxièmement, la Commission électorale devrait avaliser les candidats selon des critères clairs et justes. Elle devrait empêcher toute intimidation et garantir l'accès à tout le processus électoral à des observateurs électoraux nationaux et internationaux. Des observateurs locaux sont essentiels pour s'assurer de la liberté d'une élection et éviter les fraudes; et les observateurs internationaux peuvent aider les observateurs locaux à faire entendre leurs voix.
Troisièmement, les urnes devraient être ouvertes pour que tout le monde les voit avant le début des élections, et les observateurs devraient pouvoir accéder aux urnes, mobiles comme fixes, le jour du vote.
Enfin, le dépouillement devrait se faire dans chaque bureau de vote. Les observateurs devraient surveiller le dépouillement, signer la déclaration de résultats, et en garder une copie. A l'annonce finale, les résultats de chaque bureau de vote devrait être rendus publics, afin que les gens puissent détecter d'éventuelles incohérences électorales.
Il y a encore beaucoup à faire pour que le processus électoral soit digne de confiance et pour s'assurer que les votes sont comptabilisés avec justesse. Mais si ces quatre éléments fondamentaux d'une réforme électorale sont acceptés et appliqués, la prochaine élection en Iran sera bien plus libre et plus juste. Les réformes permettront aux Iraniens et au monde de déterminer et de dénoncer la fraude. L'opposition a demandé la tenue de nouvelles élections, mais sans ces quatre réformes, il est bien peu probable qu'elles soient plus justes que la précédente. Ce n'est qu'avec de telles réformes que les Iraniens pourront être sûrs que leurs votes sont pris en comptes et savoir quand leur parole est confisquée.
Quel rôle devraient alors jouer l'Occident et les États-Unis? Il est évident qu'Ahmadinejad et ses alliés vont accuser l'Occident - en particulier les États-Unis et la Grande-Bretagne - , d'être responsable de tous les problèmes de l'Iran. Le procès que le gouvernement mène contre l'opposition affirme que ses membres étaient des pions de l'Occident. Pour ces pays, être vus en train de mettre le nez dans les affaires de l'Iran pourrait s'avérer contre-productif.
D'un autre côté, la communauté démocratique ne peut rester silencieuse; elle doit trouver la façon la plus pertinente et la plus légitime d'exprimer son soutien à la démocratie, en Iran et ailleurs. Une façon de réconcilier ces deux messages apparemment contradictoires - ne vous en mêlez pas mais apportez plus de soutien aux démocrates iraniens - est d'imaginer certaines des plus importantes démocraties musulmanes ayant des relations diplomatiques avec l'Iran - comme l'Indonésie ou le Liban - jouer le rôle de messager. Ces pays devraient déposer une résolution devant le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies, qui en appellerait à la fin de la répression et à la réalisation d'une authentique réforme électorale.
Aujourd'hui, il est clair qu'Ahmadinejad va tenter de consolider une ligne gouvernementale dure et réprimera dans le sang tout mouvement de protestation légitime. S'il choisit cette voie, il amoindrira à l'avenir ses chances d'attester sa légitimité.
La bataille pour la réforme vient juste de commencer. La seule question à se poser est de savoir quand elle se terminera. Au sein du régime iranien, le plus grand espoir de voir la démocratie triompher dépend d'une acceptation, par le pouvoir, des failles du système électoral et qu'il se décide à le réformer.
Mehdi Khalaji (Washington Institute for Near East Policy) et Robert Pastor co-directeur du Center for Democracy and Election Management at American University
Traduit par Peggy Sastre