Analyse pré-électorale aux pays des Ayatollah

Que peut changer cette élection ?
Sur le fond, elle ne changera rien. Mais les tensions à l'intérieur et à l'extérieur du pays sont telles que le prochain président sera obligé de sortir de l'immobilisme. Obama tend la main, il ne peut la tendre indéfiniment. Même Ahmadinejad, s'il est réélu, devra arrêter de crier "mort à Israël, mort à l'Amérique !", et prendre de vraies décisions. Le facteur temps est essentiel. Les Iraniens vont devoir négocier, et ils ne sont pas de bons joueurs d'échecs, ils ne savent pas perdre un pion pour en gagner deux. Or il va falloir faire des compromis s'ils veulent être reconnus comme puissance régionale.
Qui saura saisir l'opportunité ?
Les approches des candidats sont différentes. C'est là que l'élection peut jouer. On peut craindre qu'Ahmadinejad ne veuille trop obtenir d'une négociation et finisse par tout perdre. Mais s'il réussissait, ce serait une victoire des radicaux et ils resteraient au pouvoir longtemps... Moussavi, son principal rival, lui, a compris qu'il fallait savoir écouter. Il est réaliste et rationnel, mais il ne faut pas oublier qu'il est très nationaliste, il a été le premier ministre du temps de la guerre Iran-Irak (1980-1989).
Sur le nucléaire il discutera, mais sera très ferme, pas question de revenir à zéro centrifugeuse. Il cherchera sans doute à mener l'Iran sur le seuil nucléaire, comme le Japon, mais dans le respect du droit international. La différence avec Ahmadinejad, c'est que sa position sera claire, articulée et qu'il donnera de vraies garanties. Avec Moussavi, on sera loin des menées extrémistes stériles, mais il sera habile à défendre les intérêts du pays. Il vient de la gauche intello proche des Palestiniens. Il ne faut pas compter que l'Iran s'éloigne du Hezbollah ou de la Syrie.
Que signifie réformateur en Iran ?
Il n'y a pas de partis politiques. Les quatre candidats sont tous des fils de la révolution, sortis du même moule. Se dire réformateur ce n'est pas vouloir changer le régime, mais avoir un ton et une approche différente sur la question des femmes, des droits de l'homme, de la culture. Et peut-être plus de rationalité, comme l'ex-président Khatami qui essayait de prendre en compte les volontés de la société. C'est tout.
N'oubliez pas, c'est sous Khatami que les recherches nucléaires ont été mises vraiment au point. Et lorsqu'il parle de dialogue des civilisations, c'est aussi pour montrer la supériorité du monde musulman.
Quel est le pouvoir du président face au Guide suprême ?
Il a une fonction importante, c'est le chef du gouvernement. Le Guide suprême Khamenei a plutôt un pouvoir de blocage, ce qui fait que l'Iran n'a pas été capable de prendre de décisions fondamentales toutes ces années. Le Guide est l'héritier de trente ans de révolution. Il a toujours été dans le sérail du pouvoir, président du Parti de la République islamique, puis président de la République (1981-1989), et enfin Guide. Il cherche avant tout un impossible consensus entre les multiples factions qui défendent les fondements de la République islamique.
S'il s'appuie sur un président qui veut bouger, le pays avancera, mais si le président élu se contente d'être sur la barricade pour défendre une vision agressive et passéiste de la révolution de 1979, le pays se bunkérisera dans sa culture de résistance au lieu d'adopter le dynamisme d'une puissance régionale. C'est ça l'enjeu.
Pour le Guide, les quatre candidats sont acceptables. Tous sont des défenseurs de la République islamique. Il soutiendra celui qui va gagner. Il ne peut "perdre" l'élection. D'après la dynamique de la campagne, Moussavi semble le plus à même de réaliser l'union nationale nécessaire pour faire bouger l'Iran en réunissant les vieux révolutionnaires, les femmes, les jeunes, les bourgeois, les Gardiens de la révolution. Rezai et Karoubi veulent cela aussi, mais sont moins bien placés. Khatami, lui, n'a jamais été un homme qui réunit, il divisait, trop "réformiste". Mais je ne vois pas de leader pour faire face à Obama. Et si le pays rate son destin il végétera sous d'autres sanctions et se desséchera, de plus en plus encerclé.
Quel est le danger pour l'Iran ?
Des frappes israéliennes sur les sites nucléaires ou un embargo américain sur le pétrole rendraient la vie des Iraniens plus difficile, mais ne menacerait pas la survie de la République islamique, qui pourrait même se radicaliser. La question israélo-palestinienne ? Pour l'Iran, elle est d'abord idéologique. La question afghane ? Il pourrait à la limite la contenir, sinon la résoudre, mais la pression religieuse, militaire, nucléaire, économique, exercée par un Pakistan de 180 millions d'habitants, frontalier sur 978 km, est sans solution pour un Iran de 73 millions d'habitants. Le pire serait que le Pakistan tombe aux mains de factions sunnites proches des talibans : le système islamique chiite, l'indépendance et l'unité nationale seraient menacés. Ce serait la fin des ambitions internationales de l'Iran.
Il existe aussi un risque intérieur de contestation de la minorité sunnite - Kurdes et Baloutches -, accru par les difficultés de contrôle de la frontière orientale où les trafiquants de drogue mènent une vraie guerre aux autorités iraniennes. Les attentats terroristes sont fréquents, perpétrés par des groupes sunnites basés en Afpak (Afghanistan-Pakistan) depuis les années 1990. Face à un Pakistan nucléaire, l'Iran, qui est en train d'acquérir une capacité technologique en la matière, ne peut rester indifférent. Ces nouveaux rapports de force permettent de prendre la mesure du risque encouru par l'Iran et du rôle qu'il peut jouer pour résoudre une crise prioritaire pour les Etats-Unis.