Le Six Octobre n'est plus seulement une date en Egypte
Allez, un petit test. Le 6 octobre, ça vous évoque quoi ? Ce n’est pas seulement le 279e jour du calendrier, ou la commémoration de la fin de la guerre d’indépendance turque.
Non, 6 octobre, en Egypte, c’est… le nom d’une ville. Ainsi nommée rapport au 6 octobre 1973, date du déclenchement de la guerre du Kippour, lorsque l’Egypte attaqua Israël. C’est une fête nationale, que l’Egypte célèbre avec moult défilés militaires (c’est d’ailleurs lors d’un de ces défilés, le 6 octobre 1981, qu’Anouar el-Sadate tomba sous les balles d’un commando islamiste).
Et c’est donc, comme je le disais, une ville. Enfin, plus précisément, ce que les géographes appellent une ville nouvelle, ces zones urbaines créées ex-nihilo afin de désengorger le Caire.
Le projet a démarré en 1979, à une petite vingtaine de kilomètres des Pyramides. Aujourd’hui, Medinet el Seta October, c’est plus de 500 000 habitants, au moins sept universités privées, et des kilomètres et des kilomètres de baraques en construction sur fond de sable. Quand on circule le long de l’interminable ligne droite qui joint le Caire à Six Octobre, le paysage a quelque chose d’ahurissant. Des tas de briques, qui voisinent des immeubles en construction hérissés de fers à béton, jouxtant des buildings en verre fumé, plantés entre deux grues, elles-même fort occupées à bâtir des lotissements clonés les uns sur les autres. Des compounds aux moulures très tarte à la crème, des portes monumentales avec barrières et guérites de sécurité. Disons, pour faire simple, un mélange architectural d’un goût, comment dire, spécial.
Et les noms, ah, les noms de ces lotissements… Royal City. Capital Park. Discovery City. Dream City. Royal Towers. Tout un programme... Longs de plusieurs centaines de mètres, les panneaux publicitaires qui décrivent ces futures villes de rêve appâtent le nouveau riche égyptien, en lui promettant force centres commerciaux, écoles privées, pelouses verdoyantes, golfs et lagons intégrés. Le minimum vital, quoi. Si vous ne me croyez pas, jetez un coup d’œil sur le site promotionnel de Palm Hills par exemple.
Le plus impressionnant, c’est que tout cela est vide ! Le boum immobilier et spéculatif de ces dernières années a conduit les promoteurs à se jeter à bras ouverts dans des programmes pharaoniques. Et comme partout ailleurs, ici aussi, c'est la crise, les villes de rêve du futur vont avoir peut-être un chouïa de retard sur le planning...
PS - J'ai, au passage, retrouvé dans mes archives un article sur le sujet, paru à l'automne 2000 dans Libération. Presque dix ans plus tard, les promesses d'amélioration de vie dans la capitale sont pour la plupart, restées à l'état de vœux pieux. Certes, un parc magnifique (le parc Al-Azhar) a ouvert ses portes, sous l'égide de la fondation Aga Khan. Le Caire fatimide fait effectivement l'objet de rénovation, mais la presse, ce matin, faisait état d'un rapport affirmant que la plupart de ses bâtiments étaient en péril, pour cause de nappe phréatique trop haute. Pour le reste, la troisième ligne de métro commence à peine à être construite. Quant à la pollution, Le Caire continue à rafler le pompon, médaillée d'or de la ville la plus polluée d'Afrique, notamment en matière de pollution par particules, selon les Nations-Unies.
Dans les années 1970, l’occupation du Sinaï par l’armée israélienne fait déferler sur le Caire une vague de réfugiés originaires du Canal de Suez. Pour faire face à cet afflux massif de sans-abri, les autorités lancent d’ambitieux projets de villes nouvelles dans le désert proche de la capitale. Le chantier dure toujours. Les plus optimistes soulignent que la moitié des exportations du pays provient de trois de ces villes : 2000 usines y ont créé 200.000 emplois. Mais seule la cité industrielle du « 6 octobre » peut se vanter d’être habitée à 80%. Les autres ont des allures fantômes, avec parfois, un seul appartement occupé par immeuble. Les logements, subventionnés par l’état, ont tous été achetés. Souvent par des intermédiaires, qui les reproposent aujourd’hui sur le marché à des tarifs exagérés. Très éloignées de la ville, mal desservies par la route, peu attrayantes, sans services, emplois ou commerces, les villes nouvelles peinent encore à trouver des habitants « volontaires ». Un principe de vase communicants défectueux que l’état cherche aujourd’hui à corriger en révisant ses infrastructures routières. Autoponts, périphérique, métro, les travaux sont gigantesques pour amener un peu d’air à ces villes qui ont du mal à éclore.
Pour inciter la population à s’y installer, le gouvernement tente aussi de faciliter l’accès à la propriété. Premiers visés, les jeunes couples, sans épargne, qui doivent généralement s’entasser dans de minuscules deux-pièces avec enfants et belle-famille. Plusieurs projets d’habitats à coût modéré ont été lancés par le gouvernement en 1996. 100.000 appartements HLM ont été construits. Encore insuffisant au regard des 800.000 demandes en attente.
De son côté, le gouvernorat du Caire a décidé cette année de prendre les choses en main pour améliorer les conditions de vie dans de la capitale. Avec un programme destiné à dessiner un nouveau Caire pour le XXIe siècle, les autorités de la capitale espèrent faire sortir la ville du palmarès des cités les plus polluées au monde. Les usines sont désormais obligées de se doter de filtres à air. Des stations de mesure de pollution ont été implantées dans plusieurs quartiers à risque. Des experts réfléchissent à l’installation d’un système de circulation alternée, pour désengorger les rues du Caire des deux millions de véhicules qui y circulent. Un plan qui obligerait à repenser le réseau de transports publics, à commencer par le métro qui ne fonctionne pour l’instant que sur deux lignes. Le gouvernorat a également décidé de rénover les réseaux de drainage sanitaire, voirie, électricité et d’eau potable.
Mais le Caire reste défiguré par des années d’ingestion forcée de nouveaux habitants. Le système D y est roi. Etages rajoutés – en toute illégalité – aux immeubles existants, cabanes en bois construites sur chaque espace vacant, les zones d’urbanisation sauvage existent partout dans la capitale. La cité des morts, l’immense cimetière à l’est de la ville, est le symbole de cet habitat précaire. Près d’un million de personnes vivent aujourd’hui dans les abris attenants aux tombes. De petites épiceries ont ouvert au pied des mausolées. Les gamins jouent au foot entre les stèles. « On n’a pas le choix, ni l’argent pour vivre ailleurs » explique un habitant, moyennement enthousiasmé par le nouveau projet de la municipalité : reloger tous les squatters de la cité des morts dans une ville nouvelle à quelques 25 kilomètres de là. Dans d’autres zones de constructions sauvages, les cabanes en bois sont rasées pour permettre la construction d’immeubles neufs.
En parallèle, le gouvernorat du Caire s’est engagé à planter un million d’arbres dans les rues et a entamé un vaste programme de restauration des monuments fatimides et des villas anciennes. Un mouvement amorcé par le secteur privé. En 1999, la nouvelle bourse du Caire a entièrement financé la restauration des rues qui entourent son bâtiment en centre-ville. En quelques mois, les façades haussmaniennes des immeubles ont été repeintes, les rues pavées, fleuries et interdites à la circulation. Une initiative saluée par les Cairotes qui ont fait de l’endroit un lieu de promenade. Doucement, le Caire du futur prend forme. Un nouvel enfantement, peut-être, pour cette cité que les Egyptiens surnomment Oum-el-Dounia, la « mère du monde».
Article rédigé par Claude Guibal, journaliste en poste au Caire.