Cuba : cinquante ans d’une dictature « cordialement raciste »
Alors que les Noirs forment 62 % de la population cubaine – chiffres de l’université de Miami –, comment se fait-il que lors du recensement de 2002, 11 % des Cubains seulement se sont déclarés Noirs ? Pour l’opposant Manuel Cuesta Morua, la raison en est simple : à Cuba, les « Blancs» entretiennent un « racisme cordial» envers les « Noirs» , et l’une des bases idéologiques du régime castriste reste le système dit de l’« avancement» , par lequel les « Blancs» obtiennent les meilleurs logements, les meilleurs emplois, les meilleurs soins, etc.
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Si le système était binaire, « Blanc» – « Noir» , près des deux tiers de la population subiraient de plein fouet ce système d’apartheid. Fort heureusement, le législateur marxiste a établi un riche nuancier qui permet à tout un chacun de se sentir plus ou moins « Blanc» , à l’exception de ceux qui ne le sont pas du tout. La couleur de peau, va ainsi du « negro azul» (noir bleu) au « jabao» (clair de peau) en passant par le « blanconazo» (blanchâtre), le « prieto» (noirâtre), le « moreno» (brun), le « mulatro» (mulâtre), le « trigueño» (brun clair). Un « moreno» pourra faire valoir qu’il est plus proche d’un « jabao» que d’un « negro azul» pour obtenir un meilleur job, dans une économie où les emplois sont à la discrétion du Parti. Malgré l’égalitarisme prôné par le système, les « Noirs-Noirs» restent largement au bas de l’échelle sociale.
Les partisans du régime associent encore la « manipulation du thème racial» à la « subversion contre-révolutionnaire» et ont toujours estimé que l’« égalité des chances » suffirait à surmonter le « racisme ». Parler du « sujet » revient donc à « diviser la Révolution» , à promouvoir un « racisme à l’envers» ou la « subversion raciale» . Bref, pour un vrai castriste, ceux qui évoquent l’existence de racisme sur l’Île ne peuvent être que d’affreux contre-révolutionnaires à la solde des Etats-Unis.
De fait, selon un récent sondage, 80 % des Cubains pensent qu’il n’y a aucune possibilité pour qu’un non Blanc préside un jour le pays. Un comble si l’on pense que Fulgencio Batista, renversé par Castro en 1956, était lui-même un « trigueño» . Au bout d’un demi-siècle de révolution, le régime peine à aligner ses Noirs : en haut de la pyramide du pouvoir, le Conseil d’Etat ne compte qu’un tiers de non-Blancs, le Politburo un cinquième et le Parlement cubain également un cinquième d’élus non-Blancs. Juan Esteban Lazo Hernandez est certes vice-président de Cuba, mais c’est le seul non-Blanc situé en haut de la pyramide du régime. « La société cubaine vit depuis des années un processus de métissage qui ne se reflète pas en matière de représentation sociale et politique », estime M. Cuesta Morua.
45% des sondés disent avoir déjà été « victimes de discrimination» et 40%, les mêmes pour la plupart, admettent avoir « fait preuve de discrimination» . Pour 82% du panel, il est « très courant » qu’un Cubain soit victime ou fasse preuve de discrimination. Les discriminations étant évidemment d’autant plus vives entre communautés de couleur que la nuance tire vers le noir foncé : lorsqu’il s’agit d’obtenir un emploi, la lutte pour la vie peut parfois se faire féroce entre un « mulatro» et un « negro azul» . Dans le même ordre d’idée, Marx écrivait fort pertinemment : « il y a pire que d’être prolétaire, c’est d’être la femme du prolétaire» . Et dans la Traite transatlantique, ce ne sont pas les Blancs qui allaient razzier les Noirs à l’intérieur des terres africaines : ils se contentaient d’attendre sur les côtes que d’autres Noirs leur ramènent leurs lots de frères de couleur.
« Il faut débattre publiquement du sujet, alerter, dire aux racistes conscients et inconscients que nous avons la capacité de les rééduquer ou de les faire taire » : c’est dans cette veine typiquement marxiste-léniniste que l’universitaire (blanc) Esteban Morales propose de mettre un terme au racisme sur l’île. Le problème est que les racistes sont loin d’être parfaitement localisés sur le nuancier en vigueur dans l’Île puisqu’on en trouve un peu partout dans l’ensemble des communautés. On imagine la difficulté de gérer des camps de rééducation « multiraciaux ». A moins naturellement que le pouvoir n’installe des camps séparés « jabao », « mulatro », « negro azul », etc. Pédagogiquement, le but semblerait alors un peu raté. Et puis « traiter » efficacement plus de 40% de la population peut sembler un défi économique majeur dans une société totalement paupérisée par un demi-siècle de communisme.
Avec l’élection de M. Obama à la présidence des Etats-Unis, le régime castriste a perdu un argument-massue de sa propagande antiyankee. Les médias de l’Île présentaient en effet traditionnellement les Etats-Unis comme la société de la ségrégation raciale par excellence. « Alors que les Etats-Unis ont élu un Noir [en fait un Métis, ndlr] à la présidence, quarante ans après l’assassinat de Martin Luther King, qu’a fait Cuba en cinquante ans de révolution ?» demande fort justement M. Cuesta Morua, pour lequel « la propagande officielle n’a pas préparé les Cubains à l’élection d’Obama»
Incapable de produire suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de sa population, le régime paléocommuniste de Raul Castro doit, sous peine d’explosion, impérativement trouver une solution à la montée des conflits intercommunautaires. Une tâche qui ne devrait pas se résoudre qu’avec des camps de rééducation…
Henri Dubost pour Novopress France