Procès des barbares: les plaidories de la défense

Publié le par JSS

Quand il a entendu cette histoire à la télévision, le 13 février 2006, la mort d'Ilan Halimi dans des conditions horribles, Jean-Claude Durimel s'est dit « c'est pas possible, c'est pas possible... ». Il a dit ce vendredi devant la cour lors de sa plaidoirie qu'il avait eu la même réaction de stupeur que le 11 septembre 2001. Et lorsque la mère de Guiri N'G. lui a téléphoné pour lui demander d'assurer la défense de son fils, maître Jean-Claude Durimel a aussitôt donné son accord de principe. Mais il a posé une condition à cette engagement : avoir l'assurance que Guiri N'G. n'est pas antisémite. L'avocat s'est alors adressé à Youssouf Fofana dans le box. Il lui a cité un extrait de Frantz Fanon, célèbre philosophe antillais : « Quand on parle des juifs, tendez l'oreille parce qu'on parle de vous. Quand on est antisémite, on est forcément négrophobe ». Fofana a écouté et, en fin d'audience ce vendredi, il a dit à Jean-Claude Durimel qu'il avait un livre de Fanon dans sa cellule, qu'il allait le lire du coup.
Me Jean-Claude Durimel a raconté au jury la difficulté de dire non, de résister à l'effet de groupe dans les cités, l'impression qu'on a toujours de rendre seulement un petit service en acceptant d'aider son voisin, son copain. Il a brossé un portrait rapide de son client, un jeune homme ordinaire de 19 ans, qui a passé son bac en prison, qui a des projets d'avenir, qui veut s'installer à la Réunion chez son frère. On peut lui faire confiance, a indiqué son avocat. Guri N'G. nourrit une véritable culpabilité quant aux faits. Jean-Claude Durimel a d'ailleurs fait remarquer à l'avocat général, Philippe Bilger, que les larmes versées à l'audience en signe de repentir étaient bien vraies, sincères. Il a d'ailleurs cité ce que Guiri N'G. avait dit le 27 mai à la mère d'Ilan, Ruth Halimi : « Je vous demande pardon pour ce que j'ai fait, et pour ce que je n'ai pas fait ». Guiri N'G. est accusé d'avoir gardé Ilan Halimi trois heures pendant sa séquestration. Son avocat a demandé à la cour de se limiter à une peine de cinq ans et de prévoir une mise à l'épreuve.

A son tour, l'avocat de Francis N'G. a plaidé les extrapolations policières, le roman de la police. Me Pierre Degoul a affirmé que les enquêteurs avaient inventé le terme de « gang des barbares », créant l'idée d'une véritable organisation avec un génie criminel à sa tête, un expert informatique capable de créer une boîte de messagerie d'un cyber café (ce qui n'a rien de très extraordinaire, en vérité), et la découverte d'un « réseau marseillais ». Alors qu'il s'agissait seulement d'un bras cassé du crime, un imbécile, Youssouf Fofana, qui ne parvenait même pas à obtenir sa rançon, qui a 25 ans avait déjà fait quatre ans de prison, et d'une équipe de minables petits délinquants de banlieue.

Selon l'avocat Pierre Degoul, les policiers se sont justement appuyés sur l'idée d'un réseau marseillais pour charger son client, puisque c'est lui qui aurait appelé une fille là-bas afin de la faire monter à Paris. Qu'ensuite, la justice a tenu pour crédible les propos d'Alexandra S. qui a pourtant montré à l'audience qu'elle mentait puisqu'elle est elle-même revenue sur ses propos, mettant hors de cause Francis N'G. sur la tentative d'enlèvement de Jacob G.
L'avocat s'est un peu attardé sur le cas de « la grande absente du procès », Ibtissam B., mise en examen pour complicité d'enlèvement et de séquestration, et pourtant toujours laissée libre. Alors que Murielle I. est allé en prison pour non-dénonciation de crime. Pourquoi cette différence de traitement donc ? Parce que, selon Me Degoul, la juge d'instruction obtenait ainsi la garantie de Ibtissam B. qu'elle ne reviendrait pas sur ses déclarations. Celles précisément sur lesquelles reposent les soupçons portés à l'égard de Francis N'G.

L'avocat a martelé que son client n'avait rien à voir avec l'affaire Halimi, puisqu'il lui est seulement reproché d'avoir participé à la tentative d'enlèvement de Jacob G. Pour ces faits, il a demandé au jury l'acquittement de Francis N'G.

Pour la défense de Franco L., l'avocat Yassine Bouzrou a plaidé plus d'une heure. "Une démonstration efficace et convaincainte", selon plusieurs de ses confrères. Il a décortiqué les infractions reprochées à son client, sa participation à trois tentatives d'enlèvements, pour les contester une à une.
Dans l'affaire Zouhair W., le jeune avocat a demandé une requalification en violences volontaires aggravées. Il a estimé qu'il n'y avait là aucune preuve de l'intention d'enlever la victime. Rien ne permet de dire que Youssouf Fofana avait expliqué à Franco L. quel était l'objet de son projet. Franco L., a expliqué Me Bouzrou, pensait se rendre à un règlement de comptes, pas à un enlèvement. L'avocat s'est d'ailleurs appuyé sur les affirmations de la brigade criminelle : En général, Youssouf Fofana ne donnait pas d'informations à ses complices.
Dans l'affaire Jacob G., Yassine Bouzrou assure qu'il n'y a une fois encore pas de preuve de sa présence sur les lieux. C'est Alexandra S. qui a dit aux policiers qu'il y avait une moto devant la résidence. Franco L. est motard, mais Alexandra S. n'a pas parlé de lui nommément. Elle a même indiqué aux policiers que la corpulence de l'homme en moto qu'elle a vu ce jour là ne correspond pas à celle de Franco L.
Même chose dans les faits concernant Mickaël D., selon maître Yassine Bouzrou. Les soupçons sur Franco L. reposent sur le simple fait que sa petite amie réside dans la même résidence que celle où a été conduit Mickaël D., à Arcueil. Ce serait donc lieu qui aurait indiqué le lieu de l'enlèvement à Youssouf Fofana. Me Bouzrou a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait là que d'une suspicion, rien d'établi donc. Il a tenu a envisagé d'autres possibilités, des liens possibles entre la résidence d'Arcueil et Youssouf Fofana lui-même : La résidence se trouve notamment à 200 mètres de Bagneux. Elle se situe aussi en dehors du département des Hauts-de-Seine, dans un autre secteur de compétence policière. Et Youssouf Fofana l'a dit à l'audience, le changement de département permet de brouiller les pistes, de rendre plus difficile le travail des enquêteurs.  
L'avocat Yassine Bouzrou a terminé en considérant que les réquisitions de l'avocat général, 8 à 10 ans de prison, étaient bien trop élevées au regard du manque de preuve. Il a demandé à la cour d'acquitter son client pour les trois tentatives d'enlèvements.

Enfin, les deux avocats de Yalda, mineure à l'époque des faits, ont plaidé la personnalité de leur cliente. Yalda avait servi d'appât à plusieurs reprises, et notamment pour attirer Ilan Halimi jusqu'au lieu de son enlèvement. Ses conseils ont raconté son parcours, sa naissance en Iran, sa sœur handicapée, son père schizophrène, la fuite de sa mère, son combat pour obtenir le divorce, les attouchements que Yalda aurait subis d'un oncle, jusqu'à son arrivée en France, la vie difficile en foyer, etc. A propos des faits, ils ont souligné l'emprise de Youssouf Fofana sur la jeune fille, ont insisté sur sa relation d'amitié avec Tifenn G., seule amie en qui la mère de Yalda disait avoir confiance. C'est Tifenn qui a demandé à Yalda de rendre service à Youssouf Fofana, alors l'adolescente a accepté. Pour Yalda, ses avocats ont estimé qu'une peine à deux chiffres, c'était trop.


ELSA VIGOUREUX

P.S : Ce procès se tient à huis-clos. Aussi ce blog est-il écrit à partir d'informations recueillies, entre autres sources, auprès de personnes qui assistent à l'audience, et dont, bien entendu, nous taisons les noms.

 

 

WHO'S WHO ?


Jean-Claude Durimel, avocat de la défense


Il avait six ans lorsqu'il a décidé qu'il serait avocat. Rien ne l'y prédestinait pourtant. Mais ce choix procédait des valeurs qui ont ponctué son éducation : « l'honnêteté, le respect de tous, la justice ». Quand il a prêté serment en 1988, Jean-Claude Durimel habitait encore là où il avait grandi, dans une grande cité de Clichy-Sous-Bois. Aujourd'hui, le droit pénal représente 50% de son activité, le reste relevant plutôt du droit social et du droit de la famille. Il a été l'avocat de Willie Brigitte, un français converti à l'Islam soupçonné d'avoir élaboré des projets d'attentats en Australie. Au procès dit du « gang des barbares », Jean-Claude Durimel est l'avocat de Guiri N'G., soupçonné de complicité de tentative d'enlèvement, mais aussi d'avoir participé trois heures à la séquestration d'Ilan Halimi. De cette longue audience, Jean-Claude Durimel dit, comme ses nombreux confrères, retenir « la qualité de la présidente, Nadia Ajjan ». Jean-Claude Durimel est « un type de valeur, qui croit à ce qu'il dit », selon un magistrat.




Pierre Degoul, avocat de la défense


Quand Pierre Degoul est entré à l'Institut des Etudes Judiciaires, il voulait être magistrat. Mais il a été inscrit dans la branche des avocats. Voilà comment il est devenu Maître Pierre Degoul en 1992. Depuis, il est devenu secrétaire de la conférence, en 1997. Il a été membre du conseil de l'ordre des Hauts-de-Seine. Pierre Degoul est spécialisé dans le droit pénal, et plus particulièrement dans le droit des étrangers. Pierre Degoul a plaidé dans des affaires de tournantes, de stupéfiants, de pédophilie. A 41 ans, il est aujourd'hui l'avocat de la compagne de l'escroc dans l'affaire des comptes piratés de Nicolas Sarkozy.
Le procès dit du « gang des barbares » est le plus long qu'il ait suivi. De cette audience fleuve, il dit qu'il retiendra la présidente, Nadia Ajjan : « Elle a très bien tenu son audience, et a su apprivoiser Youssouf Fofana sans complaisance. Il aurait très bien pu se faire expulser au bout de quatre jours d'audience, ça n'a pas été le cas ». Pour le reste, il déplore « la solitude de l'avocat général Philippe Bilger pour faire face à 27 accusés et une telle multitude de faits ». Il qualifie par ailleurs « d'obscènes et vulgaires les pressions exercées dans les médias par l'avocat de la famille Halimi, Me Francis Szpiner, suite au réquisitoire. De la part d'un auxiliaire de justice, c'est vraiment déplacé ».
Pierre Degoul est l'avocat de Francs N'G., présenté comme un « rabatteur » de filles dans le dossier, puisque c'est lui qui aurait fait monter à Paris Alexandra S. et son amie Ibtissam. Il ne lui est rien reproché dans les faits concernant Ilan Halimi.




Yassine Bouzrou et Julie Granier, avocats de la défense


A 30 ans, Yassine Bouzrou est le premier de sa promotion à avoir monté aussitôt son cabinet. Avant de s'installer sur les Champs-Elysées, Yassine Bouzrou a été stagiaire de grands avocats pénalistes, comme Jean-Yves Liénard, Jean-Yves Leborgne et Christian Saint-Palais, avec lesquels il a travaillé sur une quinzaine de procès d'assises, et à la préparation de grands procès d'assises comme ceux de Jean-Claude Bonnal dit « Le Chinois », ou du naufrage de l'Erika. Depuis 2007, Yassine Bouzrou est l'avocat de nombreuses victimes de bavures policières. Il est notamment le conseil d'Abdoulaye Fofana, dont le passage à tabac par des policiers dans un hall d'immeuble de Montfermeil, a été largement diffusé sur le net. Maître Yassine Bouzrou répond aux auditeurs sur les questions de droit pénal à l'antenne de la radio de musique underground « Génération » tous les mercredis, à 18h30. Des magistrats disent de lui que c'est un avocat « plein de talent », « qui a de la flamme ».

Associée de Yassine Bouzrou, Julie Granier, 26 ans, est la plus jeune avocate à l'audience. Le procès dit du « gang des barbares » est son premier grand procès d'assises. Tous deux sont les seuls à défendre un accusé plus vieux qu'eux, Franco L., soupçonné d'association de malfaiteurs, et d'avoir participé, sous le contrôle de Youssouf Fofana, à trois tentatives d'enlèvements précédant celui d'Ilan Halimi.

Publié dans France

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