le drame des réfugiés Sri-Lankais s'aggrave... Les humanistes ne pippent mot
Le district de Vavuniya, au nord du Sri-Lanka, au coeur de terres ocre et vertes, était, voilà un an, un fief des rebelles tamouls, en guerre depuis plus de 25 ans avec le régime de Colombo. Les routes y sont jalonnées d'anciens postes de garde du mouvement des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), désormais occupés par des soldats de l'armée régulière, qui boucle la région.
Le régime sri-lankais semble en effet désireux d'y cacher l'autre visage d'une guerre qui approche de son épilogue et qui est confinée à une bande côtière de 10 km2, coincée entre une lagune et la mer, près du port de Mullaitivu. "Le district de Vavuniya concentre l'essentiel des réfugiés de ce conflit. La situation y est dramatique", assure Amin Awad, représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Les vingt-quatre camps de Vavunyia accueillaient, jusqu'au 20 avril, 68 000 personnes ayant fui les zones de combat, selon des organisations non gouvernementales (ONG). Depuis le 21 avril, à la suite du lancement par l'armée de sa "mission secours", menée à l'arme lourde, près de 90 000 réfugiés ont grossi les rangs. "Chaque jour, les bus de l'armée déposent sur le bord de la route près de 10 000 personnes. On ne sait plus où les mettre", nous raconte un humanitaire.
Le site est saturé. L'eau, la nourriture, les toilettes et les abris manquent. Près de 45 000 personnes ont été installées dans des écoles et des bâtiments publics réquisitionnés. La surpopulation de ces lieux a été estimée par l'ONU "à 400 %".
Le camp de Manic Farm, au sud du district, est considéré comme "un modèle" par l'armée sri-lankaise, qui "gère" cette crise humanitaire. Des maisons construites par le gouvernement hébergent, depuis quatre mois, 20 000 personnes. Mercredi 29 avril, des familles avec de nombreux enfants s'agglutinaient derrière les barbelés du camp pour apercevoir les ministres des affaires étrangères français et britannique, Jouchner et Miliband. En visite dans l'île, ils espéraient convaincre les autorités de desserrer l'étau de l'armée autour de ces lieux. Ces camps submergés par l'afflux de réfugiés sont aussi sévèrement contrôlés par l'armée, qui en interdit l'accès à la presse et restreint de manière draconienne l'activité des ONG.
Le passage des deux diplomates occidentaux aura seulement permis d'obtenir un engagement oral de la part des autorités sri-lankaises d'ouvrir "plus largement l'accès" aux camps, "hors zone de conflit". Ce résultat mineur au regard des espoirs formulés avant leur arrivée par les deux ministres est toutefois qualifié par M. Awad, du HCR, "de point non négligeable au regard des difficultés de travail sur place". Il resterait, selon l'ONU, 50 000 personnes dans l'enclave encore contrôlée par les Tigres tamouls.
Entouré d'une foule intriguée, Thamotiran Jeonthessavarn, un bol de riz à la main, raconte sa fuite de la zone des combats à Kilinochchi : "Les gens ont peur de parler, mais je vous dis que les Tigres nous interdisaient de sortir de la zone. Après, quand l'armée nous a mis dans les bus, certains sont morts de faim et de soif. Ici, ils nous interdisent de quitter le camp. Il y a trop de monde, alors que beaucoup d'entre nous pourraient rentrer chez eux."
D'autres camps dits "de transit", mélange de bois et de bâches en plastique, accueillent près de 35 000 personnes dans une zone à moitié débroussaillée. "Les files d'attente y atteignent 600 mètres", rapporte un humanitaire. "Les hommes volent les rations des plus faibles, ajoute-t-il. La fin de la saison des pluies nous obligera bientôt à aller de plus en plus loin pour amener de l'eau ; au lieu des cinq à sept voyages, on ne pourra plus en faire que deux ou trois. Ce qui est insupportable, c'est qu'à la faim s'ajoute la répression."
Le ministre adjoint des affaires étrangères sri-lankais, Palitha Kohona, justifie l'inflexibilité de son gouvernement. "Toute pause humanitaire dans la zone des combats, dit-il, permettrait aux Tigres de reconstituer leurs forces, et cela ferait encore durer ce conflit." "Ils trouveraient le moyen de s'enfuir et poursuivraient la lutte d'un autre lieu. Une insurrection qui bénéficie d'une base arrière est imbattable, on le voit en Afghanistan", ajoute le ministre.
Le chef de la diplomatie, Ballogama, a repris cette argumentation lorsque M. Kouchner a suggéré une mission de médiation entre les deux belligérants pour aboutir à une "pause humanitaire" déjà demandée par l'ONU. "Avec qui voulez-vous parler ?, a rétorqué M. Bogollagama. Pourquoi voulez-vous parler avec le LTTE ? Ils combattront jusqu'à la mort, cela ne sert à rien." En signe de bonne foi, le régime de Colombo affirme avoir déjà mis en oeuvre des programmes de réinsertion des soldats du LTTE, comprenant un volet particulier pour ceux ayant été enrôlés dès l'adolescence.
Les autorités sri-lankaises n'entendent rien céder aux pressions internationales. "Ce pays est dirigé par la famille Rajapakse, décrypte un responsable local d'une organisation internationale. Un frère (Mahinda) est président, deux autres sont ministres. Ils considèrent qu'ils ont rendez-vous avec l'Histoire après avoir transformé leur pays en un Etat très militarisé."
Le sentiment d'être une citadelle assiégée conduit Colombo à considérer que l'ONU et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sortent de leur neutralité et veulent favoriser les Tigres sous prétexte d'aider les populations. "Il ne s'agit pas de soutenir le LTTE, mais de sauver des vies", rétorque David Miliband. "S'il faut savoir gagner la guerre, il faut aussi savoir gagner la paix", a-t-il ajouté. "C'est souvent dans les derniers jours de la guerre que se joue l'avenir", renchérit Bernard Kouchner.