"Etre femme" par Tzipi Livni

Publié le par JSS

J’ai toujours ressenti la question de la condition féminine comme une préoccupation personnelle – jusqu’au jour où je suis entrée en politique. J’ai découvert alors l’ampleur de la dimension sociale du problème. Pour moi cette année restera plus que jamais l’année de la femme.
Lorsque j’ai pris la décision d’entrer sur la scène publique, la promotion de la condition féminine ne figurait pas au nombre des causes dont je me faisais l’interprète. Comme toute femme, j’avais rencontré des problèmes et des difficultés liées au fait que je suis une femme, mais comme beaucoup de mes paires je n’y avais pas vu là une question sociale de premier ordre mais plutôt une préoccupation personnelle. Une sorte de confrontation personnelle quotidienne qui est en fait le lot quotidien de toutes les femmes et les mères qui travaillent. Ainsi par exemple, lorsque j’étais enceinte, le regard anxieux de clients fixant avec attention mon ventre bombé s’interrogeant intérieurement  « va-t-elle pouvoir poursuivre ou qui donc va la remplacer ?». Et comme pour leur prouver qu’ils pouvaient compter sur moi, je suis revenu travailler dès le lendemain de la circoncision¹ (avec le nourrisson sous le bras…).
Une autre expérience me vient à l’esprit, plus longue et plus personnelle – les affres que l’on ressent vis-à-vis des enfants et le déchirement qui nous étreint chaque fois que la question surgit : mon ambition personnelle n’est-elle pas en train de se développer sur le dos de mes enfants, de leur équilibre et de leur bien-être ? Jusqu’à ce jour où il m’est enfin apparu que les deux sont possibles. Tout comme le débat permanent sur le prétendu rapport « qualité/prix » : le revenu qu’une épouse apporte au foyer est-il supérieur aux frais que son absence du foyer lui fait supporter pour la garde des enfants et tout le reste alors que je sais pertinemment que sortir du foyer et se développer professionnellement est aussi l’expression du droit des femmes sans aucune considération économique.
Au travers de tout cela, au détour de toutes les  autres manifestations de la complexité de la condition féminine, j’y ai vu une simple confrontation de ma personne avec cette question. Mais tout ceci a profondément été modifié le jour même où je suis entrée en politique. C’est alors que la dimension sociale de la question m’a heurté de plein fouet : depuis les questions polies sur « comment donc réagissent votre époux et vos enfants » - toujours bien évidemment sur un ton inquisiteur et accusateur, en passant par ces hommes qui ne nomment ou désignent que leurs acolytes –entendez, des hommes, des vrais, avec qui ils étaient à l’armée, sur qui on peut compter, des hommes, des amis, qu’il faut aider –car après tout on aide toujours les a-m-i-s, des hommes bien sûr. Voilà donc comment le cercle infernal s’est formé, un cercle duquel les femmes sont exclues dès le commencement, un cercle qui ne réserve que si peu de place aux femmes pour les postes de responsabilité.
J’ai aussi rencontré la discrimination salariale, la difficile condition des femmes devant les juridictions religieuses, ou encore ces femmes battues mais ô combien courageuses – celles qui ont eu la force de se lever et de se battre pour ouvrir une nouvelle page de leur existence. J’ai croisé également le chemin des mères célibataires, ces femmes pour qui l’activité professionnelle ne signifie pas une carrière mais du pain et des livres pour leurs enfants.
J’ai aussi connu les combattantes, les militantes. Elles mènent la lutte pour promouvoir les femmes à la Knesset ; membres de partis politiques différents aux orientations idéologiques souvent totalement opposées, elles se liguent s’appuyant chacune sur l’épaule de l’autre pour progresser et faire avancer la législation au profit des femmes. J’ai vu aussi les organisations féministes qui œuvrent inlassablement pour que les esprits changent, les choses avancent, pour assister les femmes battues ou victimes d’agression. 
Ce combat je l’ai toujours mené, en toutes circonstances déjà alors que je n’étais que simple soldate ; où encore lorsque  par la suite, j’ai conduit la lutte pour que des juges séculaires puissent entrer dans les tribunaux religieux où lorsque j’ai agi pour promouvoir la nomination de femmes à des postes de responsabilité. 
Au cours de la campagne électorale je n’ai pas demandé que l’on vote pour moi parce que je suis une femme mais j’ai exigé que l’on ne m’élimine pas parce que je suis une femme. C’est alors que j’ai rencontré la puissance des femmes. Ces femmes qui se sont battues à mes côtés contre toute discrimination, ces femmes qui m’ont demandé d’être fortes pour elles, que je ne renonce pas, que je poursuive ma tâche tout en comprenant que cette force que j’accumulais, je la partageais avec elles.
J’ai rencontré aussi ces femmes qui n’avaient pas l’assurance d’être capable de voter pour une femme. Des femmes qui continuent de penser que la sagesse de la sécurité d’Israël serait un gène exclusivement masculin. Pour ces femmes, je ressens une peine profonde. Car au-delà de tout, elles n’expriment ainsi combien elles manquent cruellement de confiance d’abord envers elles-mêmes.
Le plus merveilleux de tout  a été cette rencontre avec une jeune fille de la communauté éthiopienne qui en m’étreignant  m’a confié que son rêve est similaire au mien – devenir Premier ministre. J’ai compris que ce qui apparaît encore à certains comme impossible est une évidence pour cette enfant. Cette étreinte a soulevé en moi une force extraordinaire. Ma candidature au poste de Premier ministre ne visait pas seulement à servir la cause des femmes. Mon objectif est de servir mon pays, car j’ai la conviction des choix qui doivent être faits et du chemin à accomplir au service de l’intérêt d’Israël.
Par ma candidature peut-être ai-je donné de la force à d’autres femmes de choisir leur destin par elles-mêmes, ou encore à d’autres d’exiger salaire égal à leurs pairs, ou bien à celles qui souffrent de réunir le courage pour quitter leurs conjoints violents ?
A mes yeux, être femme entière et égale c’est d’abord avoir la liberté de choisir :
Choisir de vivre seule ou en couple,
Et si l’on choisit la vie en couple, choisir aussi comment chacun s’assume selon ses capacités et ses ambitions,
La liberté de choisir son activité ou sa profession,
Le droit d’exiger le respect de soi et de son statut,
Le droit à un salaire égal,
La liberté de choisir de devenir mère et le droit de se sentir entière avec ce choix comme mère et comme femme active,
Et puis aussi : être femme c’est également le droit de peser pour décider de l’avenir du pays que l’on aime tant, de pouvoir agir pour forger le futur des enfants que nous lui avons donnés, le droit de se mettre à la disposition de ce pays pour le servir au seul poste de responsabilités qui compte : Premier ministre de l’Etat d’Israël.

Tzipi Livni- Députée, Présidente de Kadima - 
¹La circoncision se pratique le huitième jour qui suit la naissance

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