Medvedev en plein dilemne après la lettre d'Obama
Nous y voilà. Le grand deal entre Moscou et Washington que tout le monde attend (voir cet article à ce sujet) se prépare effectivement en coulisses. Selon le "New York Times" de ce matin (ainsi que le "Washington Post" et "Kommersant"), Barack Obama a envoyé, il y a trois semaines, une lettre secrète à son homologue russe, Dmitri Medvedev.
Dans la missive remise en main propre par un haut responsable américain, le président des Etats-Unis laisserait clairement entendre que son administration serait prête à abandonner le projet de bouclier antimissiles en Europe si la Russie accepte de bloquer les efforts nucléaires militaires iraniens.
Autrement dit, si Moscou accepte de voter des sanctions très dures contre la République islamique, voire d'aller plus loin le cas échéant.
Si cela se confirme (et tout porte à croire que l'information est véridique), il s'agirait là évidemment d'un tournant stratégique majeur et cela dans quatre domaines au moins:
1/ Pour les relations américano-russes d'abord. Après des années de tensions, la lettre est une sorte de calumet de la paix, que le Kremlin, profondément déstabilisé par la chute des prix des hydrocarbures et la crise sociale qui gronde, a, me semble-t-il, tout intérêt à saisir. Il voit là une reconnaissance internationale et publique de ses revendications et de sa place dans le monde par la première puissance de la planète. C'est que l'équipe au Kremlin attend depuis des années. Elle va donc, me semble-t-il, accepter l'offre (après l'avoir monnayée) et chercher à aplanir les différends. A moins, bien sûr, que les "faucons" russes, qui ont beaucoup à perdre d'un dégel américano-russe, ne cherchent à saboter l'opération, en multipliant les manoeuvres aggressives. Les patrons des firmes d'hydrocarbures, en particulier, bénéficient, en effet, des tensions entre l'Iran et l'Occident, qui font monter les prix (surtout ceux du pétrole beaucoup plus volatiles).
2/ Pour le dossier iranien, bloqué au Conseil de sécurité depuis des mois à cause du "niet" russe. Après avoir accepté une série de sanctions "légères", Moscou s'est en 2008 opposé à des mesures plus radicales, les seules disent les spécialistes capables, peut-être, de contraindre pacifiquement le pouvoir iranien à renoncer à son programme nucléaire militaire: un embargo sur les armes, y compris défensives, et sur le pétrole raffiné (dont Téhéran est importateur net). Il faudra évidemment que Washington propose à Moscou des compensations sonnantes et trébuchantes pour la perte (totale ou partielle) du marché iranien. Les grandes compagnies d'exportation d'armes et de nucléaire civil sont très engagées en Iran.
3/ Pour l'Europe et plus particulièrement la Pologne et la République tchèque, qui ont investi beaucoup de capital politique dans cette affaire et qui risquent de se retrouver gros Jean. La question est de savoir ce qu'Obama va leur proposer pour sauver la face -et les élections. Va-t-il notamment maintenir son offre de batterie antimissiles Patriot à la Pologne?
4/ Pour Israël, enfin, qui voit là l'une de ses demandes satisfaites (on se souvient de l'interview d'Ehud Barak dans "le Monde", il y a quelques mois, dans laquelle il suppliait Washington de passer un tel deal avec Moscou).Oserais-je dire que cette offre d'Obama est aussi une victoire diplomatique pour Sarkozy (ou plutôt une vindication comme l'on dit en anglais), qui demande, en effet, depuis plusieurs mois la suspension du projet de bouclier en Europe.
En attendant le face à face Obama-Medvedev en marge du sommet du G20 à Londres début avril, la première rencontre entre Hillary Clinton et son homologue russe, Sergeï Lavrov, vendredi prochain à Genève s'annonce donc passionnante.
Article rédigé par Vincent Jauvert