En Turquie, les jugent punissent les détenus avec de la lecture obligatoire!

— On a dit que je m’étais comporté grossièrement, que j’ai hurlé alors que j’étais saoul.
— Comment avez-vous réagi à l’énoncé de la peine ?
— J’ai demandé au juge de me traiter comme tout le monde. Je lui ai dit : ‘Si vous me condamnez à lire un livre, les gens vont se moquer de moi !’ Pour moi, lire un livre, c’était comme faire la vaisselle à la maison. Mais le juge a maintenu cette peine. Je me suis enfui à Ankara. J’étais très perturbé.
— Pourquoi êtes-vous revenu ?
— Je suis resté six mois loin de chez moi. Puis je me suis rendu compte que je ne serais pas tranquille à moins de faire cette lecture.
— Comment vous sentiez-vous en entrant pour la première fois dans la bibliothèque ?
— Au début, c’était horrible. J’avais l’impression qu’on me torturait et que tous les habitants de la ville m’observaient et se moquaient de moi. — Quel était le titre du premier livre ? Avez-vous vraiment lu ?
— J’ai commencé avec un livre sur les écrivains turcs. J’ai également lu la biographie d’Atatürk. C’étaient vraiment de gros livres. J’ai mis un mois entier à les lire. En réalité, je faisais semblant, je ne faisais que tourner les pages. Quand on m’a dit que le juge m’interrogerait sur le contenu, je me suis mis à lire vraiment. Je ne souhaite ça à personne, même à mon pire ennemi.
— Vous est-il arrivé de vous dire que la prison aurait été préférable ?
— C’est ce que je pensais. Mais le juge m’avait dit que le séjour en prison serait mentionné dans mon casier judiciaire et que je ne retrouverais donc plus de travail. Sans ça, qu’est-ce que ç’aurait été de passer quinze jours en prison ? J’en serais sorti la tête haute et j’aurais été fier de retrouver mes amis au café.
— Et alors, maintenant, vous ne marchez pas la tête haute ?
— Pas complètement. Je sais que les gens rigolent dans mon dos. Cela dit, j’ai appris beaucoup de choses qu’eux ignorent. Moi aussi je peux me moquer d’eux.
— Est-ce que vous avez continué à lire depuis ?
— J’ai compris que lire n’était pas si affreux que ça. Je me suis dit que le savoir avait du bon. J’aime bien les livres d’Ahmet Rasimet et de Refik Halit Karay. Maintenant, je lis à chaque fois que j’en ai l’occasion."

Enfin, à Trabzon, la juge Zeynep Denizoglu a condamné Özgür Solmaz, 23 ans, pour avoir tiré en l’air avec son revolver pendant une dispute avec ses amis, et ce en état d’ébriété. La peine initiale d’un an de prison et d’une amende de 375 livres turques pour mise en danger d’autrui a été suspendue pour cinq ans, sous condition qu’il lise pendant les trois premiers mois des livres sur les dangers des armes à feu et qu’il distribue des brochures traitant de ce sujet dans des endroits passants de la ville.
Tous les jugements prononcés par les tribunaux turcs ne sont évidemment pas aussi pittoresques. Ce n’est pas le lieu ici de parler des nombreuses plaintes déposées contre des écrivains et des intellectuels pour le simple fait d’avoir librement exprimé leurs idées, ni du nombre sans équivalent d’interdictions de partis politiques. Je me contenterai de parler de dix enfants mineurs qui croupissent en prison parce qu’ils sont soupçonnés d’avoir jeté des pierres sur la police lors d’une manifestation organisée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ils ont été condamnés en vertu d’une loi antiterroriste qui permet de considérer des enfants comme des criminels. Toutefois, les accords entre la Turquie et l’Union européenne offrent aux citoyens turcs la possibilité de faire appel devant les tribunaux européens. La Cour européenne des droits de l’homme rétablit souvent le plaignant dans ses droits. Le dernier exemple en date est celui de Mme Nahide Obuz, qui avait accusé l’Etat turc de ne pas la protéger contre les violences de son mari. La Cour lui a donné raison et a condamné l’Etat turc à lui verser 36 500 euros. Ce qui a fait de la Turquie le premier pays condamné par la justice européenne pour une affaire de violences conjugales.
Ecris par Bakr Sidqi pour Al-Nahar (journal libanis)