Un polonais, président du parlement européen

Il suit un principe qui marche pour lui depuis trente ans : restez discrets et, si l’on a besoin de vous, on vous trouvera. C’était encore vrai il y a un an, quand Hans-Gert Pöttering, président du Parlement européen sortant, a demandé à Jacek Protasiewicz, eurodéputé polonais, si le parti Plate-forme civique avait un bon candidat pour lui succéder. “Le Premier ministre Donald Tusk a été surpris, mais il a immédiatement pensé à Jerzy Buzek”, se souvient Jacek Protasiewicz.
Parmi les 785 députés européens, Jerzy Buzek est l’une des personnalités les plus reconnaissables. Lorsqu’il a été élu à Strasbourg pour la première fois, il y a cinq ans, seuls quatre anciens chefs de gouvernement siégeaient à Bruxelles. “Par définition, il se démarquait de la plupart des députés anonymes”, explique Jacek Protasewicz. Dès le début, on lui a confié une responsabilité. Il a été nommé rapporteur des programmes de recherche scientifique et il a géré le troisième grand budget de l’Union. En fin de mission, il a accédé à l’élite du Parlement européen. “Il n’a jamais cherché à occuper des postes en vue. Ce sont les autres qui, chaque fois, sont venus le chercher”, rappelle Jacek Protasiewicz. Mais, avant qu’on ne lui propose la présidence du Parlement européen, il a vécu son enterrement politique, en 2001. Plus personne ne misait sur lui. Pourtant, il a dirigé le gouvernement qui a eu la durée de vie la plus longue en Pologne depuis 1989. Auteur de trois grandes réformes [retraites, santé, découpage administratif], il a aussi présidé l’Action électorale Solidarnosc (AWS), dont la popularité a fondu comme neige au soleil. AWS s’est pris une claque aux législatives et n’a pas dépassé le seuil des 5 % nécessaires pour siéger. Dans la biographie officielle de Jerzy Buzek, cet échec est présenté comme une tentative de retour à la vie scientifique. L’ancien Premier ministre s’est alors contenté d’un temps partiel à l’Institut de chimie organique, à Gliwice. Pour qu’il puisse survivre, ses collègues lui ont trouvé un poste de directeur d’une école supérieure à Czestochowa. Pas vraiment le poste rêvé pour un scientifique ambitieux.
Il est difficile de dire à quel moment Jerzy Buzek s’est transformé en politicien. Selon son ami le Pr Krzysztof Gosiewski, leur adhésion au syndicat Solidarnosc, en 1980, n’a pas été un acte politique. “Plutôt une question de décence”, explique Krzysztof Gosiewski. Jerzy Buzek a été élu président du syndicat à l’Institut d’ingénierie chimique, puis délégué au congrès de Solidarnosc à Gdansk. Loin d’être un grand tribun, il passait plutôt pour un expert. Préparer les statuts du syndicat, organiser le débat : voilà ce que les ouvriers attendaient de lui. Puis est arrivé l’état de guerre du général Jaruzelski, en 1981, et les arrestations de la majorité de ses amis. Jerzy Buzek a alors mis sur pied les structures clandestines de Solidarnosc. Pour certains de ses contacts, il était juste “Karol” ; pour d’autres, “Hubert”. Peu de gens ont su qu’il s’agissait de la même personne. En 1987, il est sorti de la clandestinité à cause de la maladie grave de sa fille Agata [aujourd’hui actrice]. Il n’a participé ni aux grèves de 1988 ni à la table ronde organisée par le pouvoir communiste, qui a ouvert la voie à la transformation politique, en 1989. En 1997, la presse a commencé à présenter comme candidat au poste du Premier ministre ce député de Silésie, peu connu, chrétien-démocrate et, par ailleurs, luthérien (ses amis le présentent comme peu religieux mais pratiquant). Son gouvernement est tombé car il a dû batailler contre son propre camp. Il a lui-même reconnu que l’une de ses plus grosses erreurs avait été de nommer au ministère de la Justice Lech Kaczynski [l’actuel président de la Pologne], qui s’est révélé un mauvais ministre et un partenaire peu fiable. Grâce à cette nomination, les frères Kaczynski ont pu commencer à bâtir leur propre camp politique, critiquant frontalement Buzek et son action…
Par Cezary Lazarewicz