Comment l'antiracisme est revendiqué par des faussaires
Comment les droits de l'homme et l'antiracisme sont revendiqués par des faussaires, au nom du despotisme, du fanatisme et du sec
Pour Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue « Le Débat », le dilemme politique, posé par les droits de l'Homme est tout entier inscrit dans cette question : « comment concilier l'émancipation de l'individu, donc le renforcement de ses droits, avec les contraintes et obligations de la vie en société ? » Selon ce point de vue, la sacralisation des libertés nuit à la démocratie, au sens ou elle oppose l'individu à la société, en renvoyant celle-ci au « mal radical », en en faisant « l'ennemi de l'individu ». Je cite un extrait de son blog : « Il y a une crise de la démocratie, une crise profonde. Mais, je ne parlerais pas d’une crise des fondements de la démocratie que sont les droits de l’homme. Tout au contraire, ceux-ci se portent si bien qu’ils sont en train de mettre en péril, ce dont ils sont supposés être le socle. C’est la poussée ininterrompue et généralisée des droits individuels qui déstabilisent l’édifice. La crise actuelle a ceci d’extraordinaire qu’elle résulte d’une prise de pouvoir par les fondements : à être invoqués sans cesse, les droits de l’homme finissent par paralyser la démocratie. Si la démocratie peut être définie comme le pouvoir d’une collectivité de se gouverner elle-même, la sacralisation des libertés des membres de la dite collectivité a pour effet de vider ce pouvoir de sa substance. »
Nous savons également que, lorsque le collectif se sent menacé (terrorisme ou état de guerre), les droits de l'homme sont mis de côté et la démocratie recule en promulguant des lois d'exception, en réduisant les libertés, en autorisant l'usage de la torture, etc...
Les droits de l'homme ne sont donc pas une politique, mais ils sont au fondement de la démocratie, et ils s'inscrivent au cœur d'une contradiction entre l'individu et le collectif, dans une situation jamais stabilisée.
Les droits de l'homme et la tension différenciation/universalisation au cœur de la guerre entre les nations
La fragilité de la démocratie, découlant de ses rapports avec ses fondements, semble ouvrir la voie à tous les faussaires en devenant une arme de guerre entre les nations. Telles sont les conclusions que nous pouvons tirer des conférences sur les droits de l'homme, organisées par l'ONU, Durban I et II.
La déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, fruit de la victoire des démocraties sur les fascismes, devient ici une arme de propagande redoutable aux mains des despotes, des sectaires et des fanatiques de tous poils. Pour cela, il suffit de faire glisser les droits reconnus aux individus, en droits attribués aux communautés, en identifiant l'universalisme humaniste au colonialisme occidental, et en instituant ces droits, non sur le fond commun de l'humanité, mais sur les différences entre les individus, les peuples, les groupes d'appartenance. Une rhétorique se déploie alors fondée, non sur l'universel, mais sur la différence, liée à l'ethnologie ou à la culture...
Cette approche a un écho en occident, notamment dans la mouvance altermondialiste et la gauche radicale, mais pas seulement. Et elle vient complexifier la réflexion sur le racisme. Comme le souligne Albert Memmi, le racisme a pour but la légitimation d'une agression à partir de la valorisation de la différence qui tend à être maximalisée, pour enfoncer sa victime, et se grandir d'autant. Cette idéologie, portée aujourd'hui par la gauche radicale, est liée au travail du GRECE et de la nouvelle droite depuis les années 1970. Alain de Benoist dans son intervention de 2002 au colloque du GRECE, désignait « l’idéologie du Même » comme l’ennemi principal dénonçant la massification des cultures, et l’idée selon laquelle l’homme serait une entité abstraite, sans racines ni héritage culturel, voire même un simple citoyen du monde .
Jean-Yves Camus, expose cette connivence entre la gauche radicale et la nouvelle droite dans son intervention au colloque intitulé la République face aux communautarismes, organisé au Sénat le 24 novembre 2006 :
« Les thèmes des droits des minorités ethniques et linguistiques, du droit à la différence, et des formes que doit prendre l’intégration, auraient du soulever une question de fond face à ce qu’on nomme le différentialisme, c'est-à-dire le projet idéologique qui consiste à promouvoir une société dans laquelle l’unicité du genre humain, l’égalité juridique entre les individus et la citoyenneté disparaissent au profit de la valorisation de ce qui sépare, c'est-à-dire les aptitudes intellectuelles et physiques données comme innées, et aussi l’appartenance ethnique, raciale ou religieuse. Dans le projet différentialiste, les individus ne sont pas des acteurs de leur propre devenir : toute leur vie est déterminée par leur patrimoine génétique, leur hérédité. C’est une vision qu’on trouve évidemment de manière courante à l’extrême-droite, par exemple dans l’idée nazie du « Sang et du Sol » et qui a été théorisée de nouveau, dans les années 70, par la « nouvelle droite », mais qui me semble avoir fait son chemin bien au-delà de cette sphère. »
Aux États-Unis, la demande de reconnaissance particulière de droits, pour différentes catégories, a débouché sur ce que l'on a appelé la discrimination positive. Mais tant qu'il s'agissait de communautés universelles, celles que l'on retrouvent dans toutes les cultures et sous toutes les latitudes, comme les femmes, les homosexuels, et les handicapés, la discrimination positive pouvait s'entendre comme une réintroduction de l'humanisme universaliste et de l'exigence des droits de l'homme, dans la prise en compte de la différence. Les cartes, aujourd'hui, semblent suffisamment brouillées pour que les ennemis de la démocratie, au nom du différentialisme, puissent utiliser les droits de l'homme, comme une arme contre l'universel, la démocratie et l'occident. Ainsi, on se prévaut de l'antiracisme, pour constituer un délit de diffamation des religions qui est, comme le souligne Jacques Julliard dans « le nouvel observateur », « l'un des monuments les plus stupéfiants que la tartufferie moderne est élevé à l'esprit d'oppression. » Destiné en principe à protéger les croyants, ce délit vise en réalité à criminaliser toute critique de la religion, y compris dans les pays où la charia est appliquée, en l'opposant ainsi légitimement, à l'universalisme des droits de l'homme. Nous apercevons ici l'enjeu de Durban II : détruire la déclaration universelle des droits de l'homme, en opposant le particularisme et le différentialisme à l'universalisme, tenu alors pour une théorie colonialiste, propre à l'occident et à sa volonté de dominer le monde.
Les droits de l'homme et les valeurs universalisables
La dialectique entre particularisme et universel nous pousse à nous poser cette question : « devons-nous appréhender l'autre comme un semblable ou prendre en compte sa culture différente » ? Pourquoi devrions-nous obligatoirement opposer l'un et l'autre ? J'ai envie de répondre avec Sigmund Freud que l'autre est toujours l'inquiétante étrangeté ou le semblable différent...semblable au sens ou il est un sujet et un homme, comme je le suis moi-même, mais différent, puisque par définition, il n'est pas moi et qu'il a forcément une autre histoire, une autre manière de donner du sens à ce qu'il vit, et une autre manière de développer ses systèmes de défenses. Cet écart renvoie toujours à la blessure narcissique liée à la castration : je suis obligé de prendre en compte l'autre, qui m'interdit, par sa présence même, cette toute-puissance, dont le désir enfoui dans l'inconscient ne cherche qu'à faire retour. C'est pourquoi la prise de conscience de l'altérité se fait toujours dans l'ambivalence (amour/haine). Et la loi se justifie, dans toutes les sociétés humaines, de cette contenance du désir de toute puissance, qui ne demandent qu'à faire retour en chacun. Sans loi, il n'y aurait que la loi du plus fort... Nous avons donc une base commune, justifiant l'existence d'éléments universalisables, ne serait-ce que la loi, et sa fonction de protectrice du plus faible... les « droits de l'Homme », s'inscrivent ici, comme étant au fondement de cette protection. Ils ne sont pas gravés dans le marbre, par je ne sais quelle divinité...ils sont sans cesse menacés par les tensions (individu/société et particularisme/universalisme) et résultent d'un long combat de l'homme contre son propre désir de toute puissance, et contre l'oppression qui en résulte. Ce combat traverse les cultures et les civilisations. Certains « particularismes culturels » heurtent de plein fouet les valeurs universalisables, dans n'importe quelle culture humaine.
L'enjeu de Durban II et l'aveuglement de l'ultra-gauche occidentale
La conférence de l'ONU, qui s'est tenue à Genève, sur le thème du racisme avaient pour enjeux l'exaltation du différentialisme, la destruction de la dimension universelle de la déclaration de l'homme, sa relativisation, et son rejet absolu en tant qu'idéologie coloniale de l'occident. Tous les despotes, tous les tenants du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, des libéraux aux nationalistes d'extrême droite, ne pouvaient que s'en réjouir, d'autant que l'ultra-gauche, ici, prêtait la main à l'idéologie, en faisant de la conférence sur le racisme, l'exclusive condamnation d'Israël et en minimisant, pour ce faire, l'antisémitisme de l'auto-proclamé docteur es antiracisme Ahmedinejad.
Prenons l'article d'Alain Gresh paru dans le monde diplomatique du mercredi 22 avril. Selon l'auteur, l'antisémitisme de l'orateur n'est pas avéré, puisqu'il n'a dit « que ce qu'il a dit ». Tant pis si la version écrite du discours fait allusion à « la question ambigüe et douteuse de l'holocauste »... tant pis si le langage, tout en sous-entendus et ambigüités, se précise afin de nommer les maux (le sionisme, les USA, l'impérialisme, le racisme juif, etc...), tant pis enfin si l'orateur a déjà organisé, à Téhéran, du 14 aout au 13 septembre 2006, en réponse aux caricatures de Mahomet et afin de sanctionner l'occident du « délit de diffamation des religions », une exposition concours de dessins suivi de conférence, pour remettre en cause la réalité de la Shoah, en invitant avec tous les honneurs, des négationnistes tel que Robert Faurisson condamné à maintes reprises par la justice française pour négation de crimes contre l’humanité, Georges Thiel, ancien conseiller du front national et, David Duke, le dirigeant du Ku Klux Klan. Pour Alain Gresh, l'essentiel est ailleurs. L'antisémitisme est tellement minimisé, que le seul fait d'en parler relève « du délire et de la désinformation ». Seule compte la critique de la politique d'Israël...
Or, précisément, l'enjeu de la conférence résidait dans cette caricature : la dénonciation du racisme, présenté comme un qualificatif intrinsèque du sionisme et des juifs, est prononcée par un antisémite qui, au nom de l'antiracisme, défend le délit de diffamation des religions en revendiquant le différentialisme contre l'universel. Les « droits de l'homme » et « l'antiracisme » sont ainsi revendiqués par des faussaires, au nom du despotisme, du fanatisme et du sectarisme
Rappelons que la politique d'Israël est certes à critiquer, mais elle ne peut l'être qu'au nom de valeurs universalisables, inscrites dans la déclaration des droits de l'Homme, susceptibles de s'opposer à tout pouvoir.
Par Renarblanc 'lien'