Lionel Allouche, victime de la barbarie ordinaire
L’altercation a dégénéré au moment où Lionel Allouche quittait la boîte : des mots, des insultes, l’élève avocat qui tente de ramener les jeunes à la raison, qui semble même y parvenir, jusqu’à ce que l’un d’eux lui fracasse une bouteille sur la tête. Par-derrière. La violence du coup a détruit une partie de son cerveau. Puis l’acharnement, à coups de pied, a accentué les dégâts, irréversibles. Mort cérébrale, ont annoncé les médecins. Six jours plus tard, le cœur de Lionel a cessé de battre. Ses agresseurs ont été arrêtés. Seul celui qui l’a mortellement frappé est en prison (lire ci-dessous).
« Lionel était malheureux lorsqu’il y avait peu de monde à des obsèques, » dit sa grande sœur Emmanuelle, attablée face à un jus d’orange qu’elle ne boit pas. La boule de chagrin paralyse les mouvements de sa gorge. Elle espère qu’il aura ressenti l’impressionnante communion autour de son cercueil. Avant d’observer le rituel de la semaine de deuil, elle raconte le dernier jour d’une vie exemplaire. « Il est parti en paix, entouré d’avocats qu’il admirait, du directeur de son école, des élèves, du rabbin. Il y avait un monde fou à l’hôpital et, malgré notre peine, j’étais heureuse. » Ce vendredi 27 mars, le pénaliste Karim Achoui, à qui Lionel Allouche vouait une amitié sans failles, a convaincu le vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, Me Jean-Yves Le Borgne, d’intercéder en faveur de l’élève qui devait prêter serment dans cinq mois. Le ténor a foncé à la Pitié-Salpêtrière. Avec Karim Achoui, il a obtenu l’assurance, auprès de l’Ecole de formation du barreau, que le diplôme de Lionel lui sera délivré à titre posthume, en septembre, et remis à sa famille. « Me Le Borgne a serré la main de mon frère et lui a dit je t’appelle désormais confrère, tu es des nôtres, témoigne Emmanuelle. Ce fut un immense honneur. Lionel aurait été si fier… »
Dans le regard de ce si beau garçon, se nichaient la gentillesse et le bonheur. « Il avait choisi le droit parce que les injustices le révoltaient, explique Emmanuelle. Cela faisait sept ans qu’il étudiait dans le but d’aider les autres. Lionel attendait son diplôme pour s’accomplir. Il se consacrait à son travail, visitait des détenus, pratiquait le basket, lisait beaucoup ; il ne sortait quasiment jamais. » Le hasard l’a placé sur le chemin de jeunes excités, 20 ans à peine, souhaitant en découdre : « C’était de la racaille, des gens juste là pour provoquer les autres. Lionel a été frappé alors qu’il leur tournait le dos. A nos yeux, ce sont des traîtres ! » En vain, depuis la tragédie, la famille Allouche cherche une explication, oscillant entre la révolte, légitime, et la sagesse qui a toujours dirigé ses actes : « C’est une preuve supplémentaire de l’agressivité, de la haine qui domine aujourd’hui. Un drame ordinaire provoqué par la bêtise humaine. » Afin de la contrer, Harry, le petit frère qui étudie aussi le droit, endossera la robe de Lionel et portera haut ses convictions humanistes. Annabelle, la petite sœur, veut être juge, « plus que jamais. » Mercredi, les cris de la maman ont déchiré le cœur des quelque quatre cents amis de Lionel Allouche, à Pantin. Parmi eux, il y avait Karim Achoui et Jean-Yves Le Borgne, ses confrères.
Les policiers du VIe arrondissement parisien, où s’est déroulée l’agression, ont procédé la nuit même à l’arrestation des trois jeunes gens qui ont mortellement blessé Lionel Allouche, dimanche 22 mars, grâce au témoignage d’une jeune fille qui a assisté à la scène. Mais la famille du blessé a dû attendre longtemps avant d’être alertée par l’hôpital. « A six heures du matin, j’étais inquiète, j’ai réveillé maman, explique Emmanuelle, la sœur du défunt. Lionel sortait peu et n’était pas du genre à rester dehors jusqu’à l’aube sans prévenir. C’était un fils aimant et respectueux. Vers 8 heures, j’ai réussi à savoir qu’il était allé en boîte dans le VIe et j’ai téléphoné au commissariat. On m’a répondu : votre frère est majeur, attendez deux jours. On a appelé tous les hôpitaux, en vain. Finalement, à 11 heures, la Pitié-Salpêtrière nous a recontactés, ils avaient trouvé Lionel. Le médecin a dit venez, c’est grave. Cela a été le début du cauchemar. »
Selon le témoin du drame, « Lionel a voulu calmer le trio. Il a pris un jeune à part, ça se passait bien, puis un autre l’a frappé sur l’arrière du crâne. La bouteille s’est brisée, Lionel est tombé. Après, il y en a deux qui l’ont fini à coups de pied ». Le capitaine chargé de l’enquête a indiqué que deux des voyous avaient été remis en liberté sous contrôle judiciaire, l’autre étant incarcéré. Une autopsie a été pratiquée, même si les causes de la mort ne font aucun doute. La famille de Lionel Allouche a décidé de se constituer partie civile. « La mort est toujours atroce, souffle Emmanuelle, mais là… Je n’arrive pas à comprendre. Mon frère était la douceur même, tous ses directeurs de stage, en Espagne, en Belgique, à Paris, vous diraient combien il était gentil, discret, si poli, tellement humain. Pourquoi nous l’avoir dérobé ? Lionel avait coutume de dire qu’il y a toujours une justice, en tout et pour tout. J’espère qu’il avait raison et que justice lui sera rendue. »Source: France Soir