Gamal Moubarak, futur Raïs égyptien ?
Pays charnière entre l’Afrique et le Proche-Orient, l’Egypte occupe une position hautement stratégique dans l’espace méditerranéen. Elle fait preuve d’une étonnante stabilité politique, comparée à ses voisins en proie à l’instabilité régionale. Cette caractéristique s’explique sans doute par son système politique : un régime présidentiel fort. S’il ne permet pas d’échapper aux attentats islamistes, il parvient néanmoins à en limiter les conséquences politiques. Cette stabilité politique a permis à l’Egypte de jouer un rôle essentiel de médiateur dans la résolution des crises régionales. Cependant, depuis quelques années, on assiste au déclin de la diplomatie égyptienne au profit de celle de l’Arabie saoudite notamment.
Le problème de la succession de Moubarak se pose avec d’autant plus d’acuité que le Raïs a récemment eu des ennuis de santé. De plus, il arrive en fin de règne après 27 ans de pouvoir. En outre, répondant aux demandes occidentales, principalement américaines, Moubarak a accepté la tenue d’élections présidentielles au suffrage universel pour la première fois dans son pays en 2005.
Le rejet du pouvoir en place s’est confirmé lors des élections législatives de novembre et de décembre 2005, qui ont consacré les Frères musulmans comme première force d’opposition, en obtenant 88 députés sur 454 sièges. La succession revêt donc un caractère exceptionnel tant les interrogations sont nombreuses. S’il paraît le mieux placé pour succéder à son père, l'accession de Gamal Moubarak au pouvoir ne rassure ni l’ancienne génération du PND, ni la partie populaire de la population. Seuls les Occidentaux voient en lui un rempart contre la montée de l’islamisme. Pour assurer l’élection de son fils et par voie de conséquence son accession au pouvoir, Hosni Moubarak a entrepris des réformes dans divers domaines. Si elles balisent le parcours de son fils jusqu’au poste de président, elles ne permettent pas d’effacer l’élan démocratique de 2005 qui a vu poindre les prémices de l’émergence d’une véritable opposition.
L'armée, à toujours joué un rôle déterminant dans le processus politique égyptien. Pendant des nombreuses décennies. Elle a été le pilier du régime. Sous le régime de Nasser, tous les centres de pouvoirs (politiques, administratifs et économiques) sont investis par les militaires. Cependant, une première inflexion intervient sous le régime de Sadate. Un processus de démilitarisation du système politique des forces armées débute dans les années 1970. Le processus engagé par Sadate se poursuit sous Moubarak. Le nombre de ministres continue à décroître. Enfin, il est à noté qu'à l’inverse de l’armée turque, celle de l'Egypte ne défend aucune idéologie particulière et ses interventions dans la vie politique s’avèrent aujourd’hui plutôt discrète. Ainsi, l’armée, mais surtout la puissante agence de renseignement dirigée par Omar Suliman, devrait jouer un rôle dans la succession en veillant à éviter tout vacillement des principes de la République.
Côté "politique", le régime propose une direction mêlant valeurs morales et valeurs religieuses traditionnelles. Ce subtil mélange des genres le conduit parfois à des prises de position paradoxales. En effet, d’un côté il revendique sa volonté de moderniser la société et d’un autre côté il pratique la « surenchère à l’islamiquement correcte en s’appuyant sur l’establishment religieux ». En d’autres termes, le régime brouille son message en oscillant entre laïcité et islam.
La Constitution égyptienne, actuellement en vigueur, adoptée en 1971 sous le règne du Président Anouar al-Sadate à depuis une décennie, été maintes fois modifiée. Evidemment, l’opposition égyptienne, la presse du Caire ainsi que diverses organisations non gouvernementales (ONG) telles qu’Amnesty International ont dénoncé au contraire une Constitution « taillée sur mesure » pour d’une part renforcer l’autoritarisme, et d’autre part préparer l’accession de son fils à la présidence. Les critiques des partis d’opposition, des Frères musulmans et de la société civile sont en partie fondées.
D’abord, sous couvert d’une meilleure répartition des pouvoirs, la Constitution renforce les pouvoirs du Premier ministre. Cette disposition est d’autant plus intéressante qu’elle participe à accréditer l’hypothèse d’une possible nomination de Gamal Moubarak au poste de Premier ministre.
Par ailleurs, d’autres amendements visent à modifier le processus de supervision des élections et à écarter les Frères musulmans, principale force d’opposition du pays, de la scène politique. . En étendant l’interdiction de partis politiques se définissant sur une base religieuse à toute activité politique faisant référence au religieux, le régime affiche clairement sa volonté d’empêcher les Frères musulmans d’institutionnaliser leur parti. La justification officielle de cette modification trouve son origine dans la reconnaissance par le pays du « principe de citoyenneté, d’unité nationale, et l’idée que des partis politiques reposant sur une base religieuse pourraient susciter des conflits au sein de la société ». Le paradoxe provient de l’article 2 de la Constitution qui stipule que l’Egypte est un Etat islamique, dont la principale source de la loi est la shari’a. Comment dans ce cas justifier l’interdiction de partis politiques fondés sur des conceptions religieuses lorsque le pays lui-même revendique son attachement à la religion dans la gestion des affaires.
En vertu de cet article, seuls les partis politiques peuvent présenter des candidats à ces élections. Or, la confrérie n’est pas reconnue en tant que tel. De ce fait, cette disposition l’exclut de facto du jeu politique. Les Frères musulmans sont donc contraints de s’associer avec les partis d’opposition, qui, comme l’ont prouvé les dernières élections, ne soulèvent pas un grand enthousiasme.
Pour en revenir directement à Gamal, il apparaît clairement qu'il s'apprête à revêtir ses habits de Raïs dans les prochaines années. Pour preuve, il s’autorise, avec l’assentiment de son père, à prononcer un discours de politique étrangère, domaine réservé du Président en Egypte. Son propos cherche à rassurer ses alliés, notamment les Etats-Unis en réaffirmant les intérêts stratégiques de la relation égypto-américaine, tout en affirmant l’autonomie du régime. Dans le même temps, il stimule la fibre nationale en annonçant la relance du programme nucléaire civil. Ce congrès de 2006 marque ainsi l’avènement de Gamal Moubarak sur la scène politique comme futur chef d’Etat.
Toutefois, avec la tenue d'élections ces dernières années, la critique du pouvoir a été virulente et constitue un phénomène sans précédent dans le pays. Cette tolérance du régime a permis aux Frères musulmans de s’affirmer comme la première force d’opposition et à favoriser l’émergence de groupes d’opposition, tel « Kefaya » (« Assez »). Aussi, sur ordre du gouvernement, la répression policière s’est attachée à briser le mouvement des Frères musulmans et à réduire l’espace de liberté de l’opposition.
En fait, ce qui fait surtout peur à Moubarak est à ses alliés occidentaux, c'est la montée de l'islamisme radical prôné par l'ordre des Frères Musulmans. Mouvement créé en 1928, ils se distinguent des autres groupes islamistes égyptiens tels le Jihad ou la Jamma islamiya par leur profond enracinement dans le pays. En effet, bien intégrés dans la population, forts de leur ancienneté sur la scène politique égyptienne, ils ne visent pas à renverser le pouvoir mais à l’islamiser en douceur en s’appuyant sur la stratégie de la dawa, c’est-à-dire la prédication, dont le but est de parvenir à l’application de la charia par voie légale. Il est un autre domaine dans lequel la confrérie exerce son influence, ce sont les syndicats professionnels, notamment le syndicat des ingénieurs et de manière générale les ordres professionnels. De cette influence, la confrérie tire sa capacité à se régénérer.
Les Frères Musulmans tentent en vain de s’implanter dans la vie politique par la voie légale. Mouvement politique interdit constitutionnellement en raison de ses références à la religion, la confrérie utilise tous les subterfuges possibles pour accéder au pouvoir. De ce fait, elle entretient une relation ambiguë avec le régime, qui sait opportunément l’instrumentaliser pour servir le message qu’il veut délivrer. En 2005, les Frères musulmans ont connu la consécration politique en pénétrant en masse à l’Assemblée du peuple grâce à un discours politique rénové. Galvanisée par cette victoire sans précédent, la confrérie a progressivement modifié son discours en le radicalisant, en particulier pour répondre aux diverses tendances qui la composent. Mais le nouveau discours idéologique divise. Dans les faits, cela se traduit par une incapacité pour les Frères musulmans à inspirer une réelle confiance sur plusieurs questions-clés telles l’économie, le statut des minorités et de la femme et surtout la politique étrangère. Ce tiraillement entre ouverture démocratique et repli religieux les conduit à commettre ce qui paraît être des erreurs stratégiques de communication. En outre, les Frères musulmans jouent donc un rôle grandissant dans le paysage politique égyptien depuis les années 2000 en dépit des attentats islamistes qui nuisent à la crédibilité de son discours.
Profitant de la défiance du peuple envers le régime, les Frères musulmans continuent à tisser leur réseau local par le biais d’actions sociales, économiques et éducatives. Ils exploitent les faiblesses de l’Etat dans ces domaines pour s’y substituer et l’Etat préfère cette solution à une obligation d’intervention dans tous les pans de la société, d’autant plus qu’il en est incapable. Le mécontentement populaire tend à s’accroître même s’il semble maîtrisé par les forces de sécurité. Il est également vrai que les Egyptiens ne souhaitent pas connaître les périodes de troubles que connaissent leur voisin, conscients que leur situation sociale ne pourra que s’aggraver
Il convient à ce stade d’analyser les scénarios les plus probables de la succession de Moubarak. Deux éléments guident la réflexion. D’abord, le Raïs a parfaitement conscience que la transmission dynastique du pouvoir rencontre une forte opposition sur la scène intérieure. A l’extérieur, cette possibilité, décriée il y a encore quelques mois par les Occidentaux, semble la plus acceptable compte tenu de la dégradation de la situation régionale. Pour l'occident, l’Egypte doit rester un pôle de stabilité avant tout, quitte à sacrifier les principes de la démocratie sur l’autel du pragmatisme. Partageant, dans une certaine mesure, les mêmes préoccupations que ces concitoyens, Hosni Moubarak semble plutôt rétif à toute transmission dynastique car résolument sources de tensions. La deuxième réflexion concerne l’absence avérée de relève pour le long terme au sein du PND. Aucun candidat à la prochaine élection ne pourra être issu d’un autre parti tant les précautions constitutionnelles et institutionnelles prises par le Président égyptien pour assurer la succession de son fils sont importantes.
Enfin, si plusieurs hypothèses de succession sont envisageables, comme l’ont montré les précédents développements, la plus probable est celle de l’accession au pouvoir de Gamal par le biais du suffrage universel. Cependant, le moment de la transmission constitue un élément clé. D’un côté, en cas de transmission du vivant de Hosni Moubarak, les opposants à son fils seront plus prompts à respecter ses volontés. De l’autre, en cas de mort inopinée du Président, l’attitude de l’ensemble des acteurs est plus incertaine. Une chose semble certaine : l’armée sera garante de la République, aussi il est possible d’envisager un scénario qui se rapprocherait de celui qui s’est déroulé en Turquie. Une grande inconnue demeure. Quelle sera l’attitude d'Omar Suliman, directeur de l’agence de renseignement général ? Il est à l’évidence le deuxième homme fort du pays. Par conséquent, Gamal Moubarak devra composer avec lui, pour s’assurer de son soutien et conforter son pouvoir.
(En photo : carte de l'Egypte, Gamal Moubara, Hosni et Gamal Moubarak, Manif. des Frères Musulmans et Omar Suliman)