La Jordanie, échec ou réussite pour un état musulman "modéré" ?

Publié le par JSS

La Jordanie, ainsi que le Moyen-orient en général, sont le résultat du plan "Sykes-Picot" de 1916. Un plan qui à des effets géopolitiques à long terme qui peuvent se révéler utiles dans la conjoncture internationale actuelle. Ainsi en est-il de l’étonnante pérennité de la Jordanie comme "moteur de la modération” arabe dans un environnement marqué par la poussée jihadiste et islamiste internationale.

Sans Lawrence d’Arabie et ses amis du Foreign Office, il est peu probable ce pays se soit érigé de lui-même en royaume indépendant issu de la décomposition de l’Empire ottoman. Ce morceau de désert sillonné par des tribus nomades de Bédouins en perpétuel conflit les unes avec les autres eut son heure de gloire dans les premiers siècles de notre ère avec les Décapoles romaines et le bref mais brillant royaume des Nabatéens autour de Pétra. Jusqu’en 1916, personne ne se souciait trop de cet espace désolé, dépourvu de richesses naturelles, considéré comme une prolongation de la Syrie au nord, et de l’Irak à l’est, de l’Arabie au sud.

La création en 1921 du Royaume de Transjordanie, avec à sa tête Abdallah, chef du clan hachémite de La Mecque, est le résultat d’un compromis sur le partage d’influence de la France et de la Grande-Bretagne au Levant, et du souci de Londres de diviser les Arabes pour mieux les dominer : au clan Séoud l’Arabie, les lieux saints et le pétrole, au clan hachémite, descendant du Prophète, l’Irak et la Transjordanie. La Syrie et le Liban furent placés sous la tutelle de la France.

La création en 1948 de l’Etat d’Israël et la guerre de 1967 sont des événements ayant provoqués un bouleversement démographique du pays, qui compte aujourd’hui plus de 70% de citoyens d’origine palestinienne, le reste étant composé de Bédouins majoritairement sédentarisés dans les grandes villes, principalement la capitale, Amman, où réside près de la moitié des six millions d’habitants du Royaume.

Etat dépourvu de nation, la Jordanie est gérée de manière habile par une dynastie dont le pro-occidentalisme fait partie des gènes : les désastres nasseriens dans lesquels le royaume fut entraîné contre ses inclinations profondes ont vacciné feu Hussein et sa descendance contre toute nouvelle aventure guerrière panarabe. La position jordanienne est donc un modèle de modération selon les critères occidentaux : un traité de paix avec échange d’ambassadeurs a été conclu avec Israël en 1994 et le royaume sert de base arrière à la coalition dirigée par les Etats-Unis depuis 2003 en Irak.

Au sein de la société, l’affaire se présente de manière bien différente : de violentes manifestations anti-américaines se sont déroulées à Amman lors de l’intervention en Irak. Aujourd’hui encore, on peut voir des portraits de Saddam Hussein sur la devanture de quelques échopes et on évoque volontiers "le bon vieux temps" où le dictateur irakien faisait cadeau du pétrole au petit voisin pauvre…

La monarchie n’a pourtant pas sérieusement été ébranlée par ce hiatus entre la position officielle du roi Abdallah et de son gouvernement et les sentiments de la majorité de la population. Certes, les méthodes policières et judiciaires pour réprimer les activités des mouvements islamistes et jihadistes ne sont pas des plus suaves – elles sont montrées régulièrement du doigt dans les rapports d’Amnesty international. Mais la stabilité remarquable du royaume est davantage liée à la résignation réaliste de la majorité de la population qu’à la férocité de la répression. Eut égard aux pratiques en vigueur dans les pays alentours comme l’Egypte ou la Syrie, la presse jordanienne est relativement libre et la critique de la politique officielle est tolérée, pour autant qu’elle ne mette pas directement en cause le souverain et sa famille. L’existence d’une multitude de parti politiques, la plupart représentés au Parlement, ne doit pas faire illusion : derrière leur dénomination à caractère idéologique se cache la réalité tribale qui structure cette société.

Essentiellement tertiaire, l’économie de la Jordanie a bénéficié, ces dernières années, du transfert de quelques sièges de banques et de sociétés internationales ayant quitté le chaos libanais. De plus, quelques milliers de pro-Saddam irakiens sont venus se réfugier avec leur magot à Amman dès le début des hostilités : ce sont eux qui construisent des horreurs architecturales dans les quartiers huppés d'Amman. Epargnée par les rivalités religieuses – les musulmans en quasi-totalité sunnites cohabitent sans heurts avec une minorité chrétienne –, la Jordanie officielle pratique un islam bien tempéré : la reine Rania ne porte jamais le hijab dans ses apparitions publiques. Cela n’empêche pas la société, en particulier les couches les plus défavorisées, de se tourner vers les islamistes radicaux qui pallient l’inexistence ou la mauvaise qualité des services publics, notamment dans la santé et l’éducation.

En fait, la Jordanie représente le parfait paradoxe qui illustre la situation au Proche Orient :
Une création totalement artificielle, on pourrait d'ailleurs considérer que le Royaume aurait dû devenir un état palestinien. Cependant, de tous les voisins d’Israël, la Jordanie est le plus amical, celui avec lequel les relations sont le moins tendues.

D'un autre côté, cette Jordanie reste pour certain une menace. Des palestiniens se tiennent prêts à foncer tête baissée au côté du Hamas si le Roi était mis à mal. De plus, laisser le terrain libre aux islamistes sur les plans sociaux-éducatifs est très dangereux. 

(En photo : Pétra, le Roi Abdallah et la Reine Aniah, un quartier populaire d'Amman et croquis des nouvelles habitations "irakiennes" d'Amman

Publié dans Monde Arabe - Liban

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A
Encore une fois, voilà un exposé fort intéressant !
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